domingo, 2 de noviembre de 2014

"LE SURRÉALISME AU CINÉMA" ADO KYROU. Le pourquoi du cinéma-surréalisme


"LE SURRÉALISME AU CINÉMA"

ADO KYROU

Le Terrain Vague
Paris. 1963


"La derniére ampoule éteinte": Le pourquoi du cinéma-surréalisme


(Extraits du livre)






 Le pourquoi et le comment du cinéma-surréalisme sont exprimés de façon definitive dans un admirable texte poétique de mon ami Ion Daïfas, qui porte le titre "La Derniére Ampoule éteinte" ("L'Âge du Cinéma", numéro spécial surréaliste)

SURRÉALISME - L'AGE DU CINEMA 
‎L’Âge du Cinéma. Revue d’art cinématographique. Numéro 4-5. Aôut-Novembre 1951.‎


‎Textes de Adonis Kyrou, J.L. Bédouin et Michel Zimbacca, J. B. Brunius, Toyen, Benjamin Péret, Gérard Legrand, Georges Goldfayn, Man Ray, André Breton, Jindrich Heisler, Guy Doumayrou, Robert Benyamoun, Ion Daïfas, Bernard Roger, Nora Mitrani, François Valorbe, Jean Schuster, Jean Ferry, Henri Storck, Boris Dumont, illustré de photographies en noir et blanc reproduisant des oeuvres de d’Adrien Dax, Jindrich Heisler, Man Ray, Toyen, Clovis Trouille.


 Daïfas parle par la bouche d'un narrateur qui, se trouvant seul dans une salle de cinéma vide, voit apparaître "le cinéma" sous la forme d'une femme étrange, et découvre que, en dehors de toute surréalité que peuvent insuffler sciemment les réalisateurs, le cinéma est en soi surréel. Un dialogue poétique entre le narrateur et l'apparition nous permet de suivre les différentes phases de ce devenir surréaliste du cinéma.




 L'apparition parle un langage insolite; elle dit croqueurs d'ombres pour spectateurs, souffleurs d'âmes pour réalisateurs, et dédale - numéroté - définissant - l'indéfini pour découpage.
"Vous trouvez tout naturel que j'enjambe une montagne, que je traverse d'un trait quatorze pays, que je m'arrache du ciel où je me suis balancée pour m'enfermer dans le bocal se trouvant sur la table d'un gardien de nuit, avant de me faire descendre douze millions de mètres au fond de la terre; vous trouvez normal que je mette une heure pour parcourir le monde, ou le double pour lever la main jusqu'à mes cheveux, et vous vous étonnez quand je parle comme je parle, ou même quand je vous dis que je suis plus que tout ce qui existe au monde, puisque je suis ce qui sera et qui fut et même ce qui pourrait se faire"

 Cette femme-rêve est extensible: sa bouche remplit un écran de dix mètres et un instant plus tard elle est à peine plus grande qu'un microbe perdu dans la foule. Les dimensions n'existent plus. Un détail devient inmense pour nous permettre d'examiner ses propres détails qui eux aussi grandissent et ainsi de suite. La perpétuité de la laitière qui, sur la boîte de lait, tient une boîte de lait avec son image tenant une boîte de lait sur laquelle, etc., devient possible. le grand et le petit n'ont plus aucun sens.

 Les corps peuvent vivre sectionnés. Comme le rêve, les contours s'effacent pour ne laisser voir qu'une jambe, par exemple, qui vit sa propre vie. Le gros plan fixe cette jambe et le restant du corps se perd quelque part dans le noir environnant, disparaît, et jusqu'à ce que le mage-metteur en scène fasse de nouveau appel à lui, n'existe plus.




"Jambe trouvée". Kenneth Cox. 1999


Mano seccionada "pastoreada" por cuerpo femenino. "Un chien andalou" (1929). Luis Buñuel et Salvador Dalí



 La femme se donne de façon inconnue: "Vous les Croqueurs, vous pouvez recevoir ma bouche et mes caresses, tout en suivant les soubresauts de tout mon corps, regarder si je me prépare à céder, savoir ce qui se passe entre moi et lui, moi et moi, autour de nous et même tout ce que notre amour amène derrière lui..."


Manos masculinas acarician ignoto cuerpo femenino. "Un chien andalou" (1929). Luis Buñuel et Salvador Dalí


 Le lieu, esclavage prétendu insurmontable, devient simple passe-temps qu'on surmonte avec la légèreté d'un évanouissement de jeune fille. Les plus longs voyages ne durent  que le temps de départ et de l'arrivée, et il ne s'âgit absolument pas du cas de la relation journalistique qui dit: "Il a voyagé en avion de Paris à Montevideo" car nous voyons décoller du Bourget et nous voyons une seconde plus tard ce même avion qui a donc fait le long voyage, atterrir à l'aérodrome sudaméricain. Le livre dit: "Il lui sembla qu'il avait mis une éternité à faire un pas", et cela ne dure que le temps de la lecture; l'imagination doit faire le reste. Au cinéma cette éternité est réelle.

 Aussi réelle est la simultaneité. L'écran se sépare en deux et nous voyons en même temps les deux interlocuteurs d'une communciation téléphonique. Souvent plusieurs actions mènent leur vie réelle parallèlement sur le même espace blanc (Les Deux Timides, de René Clair, par exemple). Nous assistons aux aventures de deux ou plusieurs personnages que des milliers de kilomètres séparent, exactament au même moment.


"Les Deux Timides" (1928). René Clair


 La mer vient jusqu'à nous, se mélange au ciel, envahit les lieux secs. Sans appareil extraordinaire du genre de ceux que Jules Verne inventait, nous passons des plus sombres profondeurs des océans aux confins de l'atmosphère terrestre. Les planètes même sont atteintes. L'ubiquité n'est plus l'apanage des alchimistes: un homme peut diriger un orchestre, en jouant à la fois tous les instruments de cet orchestra et en s'applaudissant lui-même en tant que multiple public (Un américain à Paris, de Vincente Minnelli), et tous les habitués d'un jardin ont le visage d'un même acteur (Jardin Public, de Paul Paviot)  


"An american in Paris" (1951). Vincente Minnelli




 Tout cela existe a priori; je ne parle pas encore du coefficient de surréalité que peut ajouter un metteur en scène pour aller encore plus loin dans l'impossible et le rendre possible. Je ne parle pas de la conscience surréaliste d'un Buñuel qui multiplie ces données, en soulignant par des moyens que seul le cinéma pouvait lui offrir, cette destruction du lieu.



"Un chien andalou" (1929). Luis Buñuel et Salvador Dalí


 Pour notre grand plaisir, le temps, autre servitude dite fatale, ne s'en porte pas mieux; il est mutilé, saccagé, annihilé. Le présent et le futur ne sont plus contradictoires. On vit hier ou demain aussi aisément qu'aujourd'hui, on vit même simultanément hier et demain. Lya Lys dans L'Âge d'Or, vit pendant une seconde "20 ans plus tard".


Lya Lys. "L'Âge d'Or" (1930). Luis Buñuel


Anita Björk dans l'extraordinaire Fröken Julie de Alf Sjöberg, a, sur le même plan, vingt ans et six ans et nous voyons simultanément les deux personnages qui n'en font qu'un, malgré leur apparence différente due à l'âge.


Anita Björk viviendo en dos tiempos. "Fröken Julie" (1951).  Alf Sjöberg


Du même coup les notions de "jeunesse" et de "vieillesse" n'ont plus aucun sens. Le souvenir, pour la première fois, crée des personnages qui vivent maintenant (flashback) et l'imagination crée ce qui peut se passer demain et qui se passe réellement, encore que ce ne soit que le désir ou la peur d'un personnage (Fröken Julie; Unfaithfully yours, de Preston Sturges) Dans l'espace d'une heure et demie peuvent se dérouler des événements d'une seconde ou de plusieurs siècles.


Los celos crean realidades. "Unfaithfully yours" (1948). Preston Sturges



  La pensée prend corps. Cet ectoplasme magnétique bouleverse tous les éléments de la vie tronquée. Le mot "rêveur" perd le sens péjoratif que les margoulins de la pensée lui ont donné. Le "rêveur" crée, vit et  son rêve peut aisément se mêler à sa vie éveillée pour la compléter, la guider, la prolonger.

 Même la mort est tuée à coups de hache. Un cadavre peut raconter son histoire (Sunset Boulevard, de Billy Wilder), pour ne pas parler des visages rencontrés au hasard des vieilles actualités qui parlent et se meuvent des années après leur pourrissement

El guionista Joe Gillis flotando, muerto, en la piscina, y contando su vida en flashback. "Sunset Boulevard" (1950). Billy Wilder




 Les objets, des plus complexes aux plus usuels, n'ont plus cette énervante apparence d'immuabilité. L'air est liquide, l'eau solide, les nuages ne s'enfoncent pas sous les pas des courageux explorateurs, la "marche sur les flots" devient seulement maintenant possible, les arbres sont des femmes vivantes (Dante's Inferno, de Harry Lachman; Up in arms, de Elliott Nugent


"Dante's Inferno" (1935). Harry Lachman



"Up in arms" (1944). Elliott Nugent

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